Yolande Dréano
Secrétaire de Section du P.C.F. de la Presqu’Île de Guérande
Certains d’entre vous sont venu·e·s ici souvent, célébrer ce jeune résistant à qui les nazis ôtèrent la vie le 2 septembre 1944. Jean de Neyman est l’un des derniers fusillés de cette guerre. Vous la famille, avez la mémoire de celui qui vécut avant et qui pourtant jamais ne vieillit. Il meurt à 30 ans. J’ai été très touchée par ces quelques mots extraits d’un de ses écrits :
« le bien que j’aurais pu faire en un peu de vie supplémentaire »
Il était né le 2 août 1914 dans une famille polonaise.
En 1934, il entre à la faculté de Strasbourg et c’est à cette époque qu’il s’inscrit au Parti Communiste. Et nous sommes là aujourd’hui, nous les communistes de la presqu’île, de St-Nazaire, de Savenay pour honorer cet homme ce héros.
Et les représentants du Comité du Souvenir des fusillés de Châteaubriant sont là également.
Jean milita activement, apportant notamment des colis aux antifascistes emprisonnés en Allemagne. Une de ces actions notoires fut un mariage blanc avec une jeune allemande emprisonnée pour propagande communiste, il réussit ainsi à la faire sortir des geôles nazies. Un happy end sur fond de crimes fascistes.
C’était aussi un homme savant dont nous fûmes privé·e·s. Que de cerveaux nous perdîmes alors et quelle perte pour notre humanité alors même qu’il continua à chercher jusqu’au moment ultime. Extrait de ses écrits :
« C’est ainsi qu’en plus de cette lettre vous récupérerez de moi presque un volume de remarques et réflexions plus ou moins scientifiques et pédagogiques. J’espère qu’elles intéresseront Papa et peut-être un professeur curieux de points de vue non classiques. »
Car il fit de brillantes études en mathématiques, en physique et en langues étrangères notamment l’anglais qu’il parle couramment et l’allemand ce qui lui servira dans la résistance.
En 1937, il est professeur agrégé au lycée à Saint-Étienne, il a 24 ans.
En 1939, Il est mobilisé et mais étant très myope, il est affecté dans un laboratoire à Paris, l’institut FRICK, on y vérifie la nourriture pour l’armée.
Puis cet institut est délocalisé ici à La Baule, dans un bâtiment dit « El Cid ». Et c’est ainsi que Jean arrive à la Baule.
Mais bientôt il doit quitter son poste dans l’enseignement public car les lois du gouvernement de Pétain interdisent aux enfants d’étrangers d’exercer dans l’enseignement public, rappelons-nous qu’il est fils de polonais.
C’est donc ici à La Baule, dans cette maison que résida et enseigna Jean comme nous le rappelle cette plaque apposée sur ce mur.
Dans ces années noires, la dictature fasciste semble s’imposer partout en Europe, du nord au sud, de l’atlantique aux frontières soviétiques, le drapeau nazi flotte sur Berlin et Paris, Varsovie et Prague, Belgrade et Bruxelles, Oslo et Copenhague. La peste brune se croit installée pour toujours.
Mais certains résistent au péril de leur vie. Jean entre sans hésiter dans la résistance active et devient vite un des animateurs de la région. Il côtoie les F.T.P. (Francs-Tireurs et Partisans).
Voici un épisode de lutte :
Un jour, deux résistants ayant tiré sur des soldats allemands, la kommandantur de Guérande prend 10 otages et annonce qu’ils seront fusillés dans les 48 heures si les coupables ne se dénoncent pas. Jean aide les deux résistants à quitter la région puis rédige une lettre de menace : « si les otages sont fusillés, le chef de la Kommandantur sera exécuté et on tirera sur tout soldat allemand sortant en ville ».
Habillé en soldat allemand, monté sur un vélo allemand, il va porter lui-même la lettre à la Kommandantur. Le stratagème réussit et les otages sont libérés. Happy end sur fond de menaces.
Ou encore en début juin 1944 :
Jean entre dans la clandestinité et constitue une équipe. L’activité du groupe est importante : coupures de câbles électriques et téléphoniques, sabotages de transformateurs, destruction et désamorçages de mines. Persuasif, il réussit à convaincre 72 polonais cantonnés à Mesquer, de rejoindre le groupe le jour où les américains libéreraient St Nazaire. Happy end sur fond d’internationalisme.
Mais bientôt c’est l’épisode dramatique qui le conduisit à la mort alors même que jusqu’au bout, il porta sur les hommes qui l’entouraient un regard bienveillant, extrait :
« Il m’est arrivé ces derniers temps une rencontre fâcheuse qui va retarder peut-être longtemps le plaisir de nous voir.
Voici l’histoire en gros.
Vers le 10 août, un jeune marin allemand, qui avait déserté, cherchait asile dans les parages de la ferme où j’avais élu domicile principal, depuis un mois à peu près. C’est moi qui le rencontrai d’abord, et, après une longue conversation, considérai que c’était un bon type qu’il serait inhumain de laisser reprendre et fusiller par les autorités militaires allemandes. Aussi je le vêtis en civil et demandai au fermier, Joseph Jergaud, de bien vouloir le nourrir à mes frais, pendant le temps (que nous supposions court) où les Américains ne seraient pas encore venus. Le gars se sentant en danger malgré tout, je lui donnais même un vieux revolver que j’avais trouvé dans la cave de ma maison en voulant enterrer mon poste radio. Tout se passa bien quelques jours, et j’eus même le plaisir de faire de bonnes parties d’échecs avec mon Fritz, ou plutôt Gerhardt, comme il se prénommait.
Par malheur, les américains ne venant pas, Gerhardt s’ennuyait et se montrait imprudent circulant autour de la ferme. Si bien qu’il fut pris par une patrouille avec son revolver en poche, et que je fus arrêté, ainsi que peu après tous les adultes de la ferme (Mme et M Jergaud, et un aide Jean Mercy que j’avais d’ailleurs connu à La Baule, alors que, mécanicien il prenait des leçons de sciences pour passer un concours naval). Nous fûmes donc Gerhardt et moi d’abord en voiture à cheval, puis les autres en camion, conduits dans un camp entre Saint-Nazaire et Montoir, pour y être interrogés. Mme Jergaud fut relâchée, mais au bout de 8 jours, le 25 août.
Gerhardt, Jergaud et moi, nous passions devant un conseil de guerre, siégeant au camp de la marine Endras (entre Saint-Nazaire et La Baule). Comme je n’avais jamais voulu éviter mes responsabilités, et encore moins les rejeter sur le pauvre fermier, c’est évidemment moi qui fus condamné au maximum, et, tandis que Jergaud s’en tirait avec 2 ans de prison, je fus condamné comme Gerhardt.
Il espéra pourtant. Extrait :
« Il me restait encore une chance : le jugement devait être confirmé par le commandant de Saint-Nazaire, de sorte qu’au lieu d’être fusillé tout de suite, je fus conduit, à côté du tribunal, dans un pavillon ou j’ai attendu jusqu’à ce matin des nouvelles d’une sorte de pourvoi que j’avais formulé. »
Jean de Neyman avait un idéal de justice, de liberté, de paix, d’émancipation de l‘homme. Il mena son combat jusqu’à la mort.
Comme d’autres de Châteaubriant, il écrit :
« Ainsi, si vous voulez me faire rétrospectivement plaisir, ne soyez pas trop malheureux »
À Châteaubriant, il est écrit :
SOYONS DIGNES D’EUX
Aujourd’hui à notre échelle, les communistes et les forces de gauche résistent contre des puissants qui les méprisent. La rue est notre décor, nous revendiquons le respect de ce que nos pères et grands pères ont arraché en force : le droit de se reposer après une vie de labeur.
À 35 ans, un homme cadre peut espérer vivre jusqu’à 84 ans, contre 77,6 ans pour un ouvrier, selon l’Insee (donnée moyenne entre 2009 et 2013), soit plus de six ans d’écart.
C’est un petit peu de la vie de chaque prolétaire qui est sacrifié
Comme Jean refusons, opposons-nous, résistons, construisons un monde meilleur.
Soyons DIGNE de lui.