Collectif Jean de Neyman
La Résistance en mémoire

Site de recherches sur la vie de Jean de Neyman, Résistant, fusillé le 2 septembre 1944 à Saint-Nazaire (Heinlex) en Loire-Inférieure (Loire-Atlantique aujourd’hui) - France.

Le Cid - La Baule
Article mis en ligne le 16 février 2024
dernière modification le 9 septembre 2024

par Patrice

Jean de NEYMAN exerce la profession de professeur de physique de 1940 jusqu’en juin 1942 à La Baule dans le cours « Le Cid ».

Le Cours Le Cid prend naissance en septembre 1939 sur le boulevard de Mer dans une villa : la Villa El Cid, d’où le nom du cours.
La villa El Cid, située à l’époque Boulevard d’Armor (actuel boulevard du docteur René Dubois), appartient à Monsieur REY-RADIX, ingénieur-chimiste à Lyon. C’est une grande villa construite en 1895 de style « asymétrique gothique [1] » située en front de mer. Elle dispose en sous-sol de deux chambres, au rez-de-chaussée d’une bibliothèque, de deux salons, une salle à manger, de divers cabinets de travail et d’une chapelle, au premier étage de quatre chambres et au second, une chambre sans compter les salles de bains et cabinet de toilettes. Selon l’inventaire dressé en 1943, elle dispose de 21 pièces habitables [2]. La villa est louée pour la somme de 20000 francs par an par l’intermédiaire d’une agence, la Société des Agences de Bretagne, à compter de septembre 1939 à Monsieur BERTOQUY pour y installer un cours privé : le cours Le Cid.

Photos de la villa El Cid
Villa El Cid
Boulevard d’Armor à La Baule (année précise inconnue)
© Arch. de La Baule-Escoublac (cote 4H3/74) | Coll. Collectif J.d.N.

Le cours ouvre en septembre 1939 et afin de recruter de nouveaux élèves, Monsieur BERTOQUY fait paraitre dans un hebdomadaire local, La Mouette, une publicité dans ce sens.

Encart publicitaire
Journal La Mouette du 17 septembre 1939
© Archives départementales de Loire-Atlantique, presse en ligne

Comme indiqué sur l’encart, son directeur est Monsieur Pierre BERTOQUY, ex-chargé de cours à l’Université Catholique de Lille, géographe de formation et déjà professeur dans un cours privé à Paris, le cours Hattemer-Prignet déplacé à La Baule. Le directeur des études est Léopold MABILEAU. Les Cours « Le Cid » sont destinés à tous les niveaux à partir du primaire. Dans la réalité, le Cours accueillera des élèves du secondaire pour préparer au baccalauréat et aux concours des Grandes Écoles.

Papier à en-tête Cours « Le Cid » février 1942
Papier à en-tête Cours « Le Cid » février 1942
© Archives Départementales de Loire-Atlantique (cote 2101W578)

En avril 1940, arrivent à La Baule 400 étudiants de classes préparatoires aux Grandes Écoles (Polytechnique, Saint-Cyr, Centrale, École de l’Air, Navale, H.E.C., Polytechnique…) qui investissent la station, logeant pour les uns dans leurs familles, pour les autres chez des amis. C’est dans la villa El Cid que les cours ont lieu mais d’autres villas sont réquisitionnées dont sans doute la Villa Sunset 12, avenue de la Pierre Percée . La venue de ces étudiants à La Baule fera l’objet d’un article conséquent avec reportage photographique dans le Match du 11 avril 1940.

Plusieurs coupures du quotidien Match sur La Baule.
Match N° 93 du 11 avril 1940
Extraits de l’article sur La Baule : "« Formez le monôme ! », les taupins quittent « El Cid » pour aller flâner au port, tandis que les étudiantes aux Beaux-Arts bavardent"
© Collection P.M. / Collectif J.d.N..

 

Il est envisagé par Pierre BERTOQUY et Léopold MABILEAU dès septembre 1940 la création d’une « École Régionale d’Enseignement Moderne ». Les deux hommes rencontrent le maire de Nantes ainsi que Monsieur BROSSIER, président de la Chambre de Commerce de Nantes et Monsieur LEGROS, secrétaire général. Le but de cette école : favoriser l’orientation professionnelle après le baccalauréat sur le plan régional et à terme créer une Faculté Maritime et Coloniale pour donner une culture générale solide avant une orientation vers l’École Supérieure de Commerce, l’Institut Polytechnique de l’Ouest ou sur l’École Nationale de la Marine Marchande.

La raison et la date précise d’arrivée de Jean de NEYMAN à La Baule sont inconnues.

Jean est démobilisé à Clermont-Ferrand le 6 août 1940 et est donc rendu à la vie civile. À cette date, il aurait dû rejoindre son poste au Lycée Fauriel à Saint-Étienne, ce qu’il ne fait pas.

En août 1940, juste après sa démobilisation, il demande à être réintégré comme professeur en précisant qu’il souhaite exercer dans les régions de Paris et région parisienne ou Clermont-Ferrand/Périgueux/Saint-Etienne. D’origine étrangère il est frappé administrativement par l’article 1 de la loi du 17 juillet 1940 qui précise : « Nul ne peut être employé par les administrations de l’État, des départements, communes, et établissements publics s’il ne possède la nationalité française, à titre originaire, comme étant né de père français ». Son père étant de nationalité polonaise, il est directement concerné. C’est ce qui motive dans un premier temps en avril 1941 le Ministère qui précise : « En tout cas, ne pas le réintégrer ». Jean effectue une deuxième demande de réintégration à la rentrée de septembre 1941 et en accord avec l’Inspection Générale, il est autorisé à occuper un poste dans l’enseignement privé sur l’année scolaire 1941-1942. Il effectue une troisième demande de réintégration en septembre 1942 (avec comme souhait d’exercer dans un lycée de l’Ouest : Nantes, Rennes ou Angers) qui lui est encore refusée cette fois-ci pour trois motifs : son origine étrangère, son activité communiste et les suspicions sur son « appartenance raciale » [3] tant pour lui-même que pour son ex-femme. Sa sœur, Marie, se présentera au Ministère afin de favoriser la réintégration de son frère, ce qu’elle n’obtiendra pas [4].

Jean va participer activement aux manifestations proposées par le comité Arts et Lettres et l’Université « Arts et Lettres » créée un peu plus tard sur La Baule.
Le comité Arts et Lettres est créé au tout début du printemps 1940 sous la houlette d’Yvonne VALOGNE, cantatrice à l’Opéra de Genève, directrice de l’École d’Art Lyrique de Paris, animatrice du dit comité et qui va organiser une série de conférences ou causeries musicales au sein de la station balnéaire, placé sous le patronage du maire de La Baule, Marcel RIGAUD et du directeur du casino, Georges MOCKERS accessoirement directeur de l’hebdomadaire La Mouette. Au programme à partir de mars 1940 une série de conférences sur des thèmes extrêmement variés (histoire régionale, géographie, médecine…), suivies de moments musicaux avec chant et piano. Elles ont lieu tous les vendredis à 17 heures et démarrent le 5 avril 1940. L’arrivée des troupes allemandes en juin 1940 met un terme aux activités du comité mais en novembre 1940, elles redémarrent et ont lieu le samedi au cinéma « La Baule Palace » vite interrompues durant l’hiver 1940-1941 par défaut de combustibles pour chauffer le cinéma. Yvonne VALOGNE la bien nommée ne manque pas de donner également des récitals dans la villa où elle habite : la Villa Saint-Edmond boulevard Hennecart en front de mer.
En septembre 1941, est créée » L’Université Arts et Lettres ». Dans ce cadre, Jean va y assurer des cours de Physique et de Chimie et également initié aux échecs dans le cadre d’un club. En décembre 1941, d’autres cours viennent s’y ajouter.

Photo libre de droit (domaine public) | Source

En décembre 1940 a lieu la première conférence de Jean de NEYMAN : « L’Alchimie d’hier et de demain » au cinéma le Palace donc. Le Phare de la Loire et La Mouette ne manquent pas de relater l’évènement et d’en faire un compte rendu. Il s’agit d’une conférence sur l’Histoire des sciences agrémentée d’expériences en physique et en chimie. La conférence remporte un vif succès nous dit-on dans la presse.

Le 18 mai 1941 dans le journal La Mouette est annoncée une deuxième conférence sur le thème « La Science humaine a-t-elle des limites » qui a lieu trois jours plus tard : le 21 mai. Dans cette conférence, il y développe les limites de la recherche scientifique et « […] il jongle avec les microns, les ions et les formules les plus complexes […] » nous relate le journaliste. Il ne manquera pas d’interpeller le jeune auditoire à poursuivre des études scientifiques où « l’œuvre à accomplir reste immense ».

Interpellé par un jeune élève, futur bachelier au cours le Cid qui lui rétorque : « Vous savez, Monsieur, les maths et la physique, après le bac, on s’en … », Jean va y répondre dans un article de presse intitulé non sans humour : « Les mathématiques, la physique et les petits pois ». C’est, à notre connaissance, le seul article de presse signé de sa main, sur cette période 1940-1942.

En juin 1942, le cours est vendu à Monsieur de FLORANE qui devient officiellement le 1er juillet, directeur. Le cours Le Cid boulevard d’Armor devient le collège Jeanne d’Arc et devient un établissement d’éducation catholique. Monsieur de FLORANE décède le 21 janvier 1943 et la direction est reprise par son épouse. Le collège ferme le 5 avril 1943 et la villa est réquisitionnée par les autorités allemandes.

Le comité Arts et Lettres et son « Université » associée perdureront au moins jusqu’en 1952.

En septembre 1942 est officiellement créée une école libre de sciences économiques et politiques à Nantes par Pierre BERTOQUY (projet déjà initié en septembre 1940, voir plus haut). La liste des enseignants est publiée dans un article de presse et Jean de NEYMAN y apparaît comme professeur de physique-chimie [5].

Carte de train de Jean - Nantes à La Baule-Escoublac
Carte d’abonné S.N.C.F. de Jean
Nantes à La Baule-Escoublac
© A.M.R.N. | Fonds Dominique de Neyman - Collection P.M. / Collectif J.d.N..

Le logement de Jean durant son séjour à La Baule se situe vraisemblablement Villa Niké au 4, avenue des Nébuleuses. En septembre 1944, un inventaire est dressé des affaires restées chez Mademoiselle Lina GRÖBE à cette adresse. On y constate que cet inventaire répertorie toutes ses affaires personnelles : pyjamas, veste, complet veston, paire de chaussures, caleçons, cravates et de nombreux objets liés à son activité d’enseignant. La villa Sunset citée dans cet inventaire n’est en tout cas pas son dernier domicile, celle-ci est louée à différentes personnes civiles à partir de 1942 [6].

Photo de la façade de la Villa Niké
Villa Niké
Avenue des Nébuleuses à La Baule-Escoublac
© Olivier Guivarc’h (2024) / Collectif J.d.N.
Liste manuscrite des derniers effets de jean à la Villa Niké
Liste des derniers effets personnels de Jean
à la Villa Niké
Archives municipales de La Baule-Escoublac (cote 4H3/25) - Collection Collectif J.d.N.


Transcription



Affaires appartenant à M. de Neyman

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à Ker Niké Avenue des Nébuleuses
chez Melle Lina Gröbe

54 livres de Physique, Chimie et Sciences
1 lot de cahiers de classeur
1 veste usagée
1 complet neuf
1 pardessus noir
1 appareil de démonstration
1 lots de bouteilles contenant des acides et produits chimiques
1 radiateur électriques
2 paires de chaussures
1 valise
3 draps, 1 couvre pieds, 2 pyjamas, 2 blouses, 8 chemises, 3 serviettes de toilettes,
6 mouchoirs, 3 caleçons, 14 cravates
1 petite balance et ses poids
1 lot de lettres personnelles
24 tubes de verre d’1 m. de longueur de différents diamètres.

à Sun Set Avenue Pierre Percée.

Une vieille bicyclette
1 tableau noir et son chevalet
Melle Lina Göbe fait observer que M. de Neyman avait pris les deux roues d’une bicyclette qui lui appartenait et dont le cadre est chez elle et une roue et qu’en échange il lui avait dit de prendre les deux roues de la bicyclette restée à Sunset.

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À signaler que M. de Neyman doit avoir probablement une autre bicyclette un poste T.S.F. et d’autres affaires chez M. Gergaud à la ferme de Ker Michel en St-Molff.

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La sœur de M. de Neyman doit être doctoresse au Sous Comité de Rennes d’Assistance et de Préservation Antituberculeuse, 3bis Rue Saint-Hélier à Rennes.

Une plaque commémorative sera apposée en façade de la villa Sunset. le 12 mai 1946, cette villa ayant été un des lieux d’enseignement de Jean, au moins au démarrage des cours Le Cid.

Plaque de marbre apposée sur la villa Sunset.
Plaque apposée Villa Sunset
12 avenue de la Pierre Percée à La Baule-Escoublac.
© Photo P.M. / Collectif J.d.N., 20230508-6676.

 


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